LUTTES POUR LA SÛRETE DES USINES & LUTTES DE CLASSES : UNE LUTTE POUR UNE NOUVELLE SOCIETE
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- Kategória: A l’ombre des catastrophes industrielle - Articles
- Írta: Jean-Claude Cheinet
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Le dernier accident industriel à Fukushima a des aspects particuliers dont je ne traiterai pas ici ; mais il ne doit pas cacher l’ampleur des risques liés aux industries traditionnelles (métallurgie, mécanique, chimie…) pour les salariés et les populations avoisinantes.
Mon propos se fonde sur plus de 20 ans de responsabilités électives dans le secteur environnement et gestion des risques, pour des Collectivités d’une région qui concentre prés du tiers de la chimie française et sur la collaboration avec de nombreux syndicalistes et associatifs ; je suis donc surtout le porte parole de cette expérience et de cette réflexion collectives.
Les communistes placent le cœur de l’action de transformation de la société dans le processus de production ; or la lutte des classes ne s’y exprime plus seulement en revendications pour « le social » mais à travers le refus des impacts de l’industrie, par une remise en cause de l’organisation même de la production et de ses finalités.
-A- Les méthodes et finalités du capitalisme génèrent des risques pour salariés et populations :
La gestion de l’industrie par le capitalisme est dangereuse pour les salariés :
Les directions des usines sont soumises aux pressions / injonctions des actionnaires et donc contradictoirement chargées de faire fonctionner les installations mais aussi de les pousser à leurs limites pour cause de recherche de rentabilité immédiate. Tendanciellement c’est une gestion qui néglige la sécurité puisqu’elle coûte sans rapporter : c’est une gestion potentiellement dangereuse.
En France, depuis la Révolution Française, l’industriel est responsable de ce qui se passe dans sa propriété privée, son usine, mais l’état contrôle afin que les alentours (autres propriétés privées) ne soient pas dégradés du fait de cette activité, et demande des comptes à l’industriel. Cette démarche reste encore fondamentalement en vigueur bien que totalement désuète du fait de la grande production et de ses incidences. Elle inspire les textes actuels.
Or les dangers sont essentiellement pour les travailleurs salariés ainsi que le montrent les accidents industriels et les maladies professionnelles.
Du reste, les travailleurs avec leurs syndicats, ont acquis quelques garanties (souvent insuffisantes) du fait de leurs luttes pour « les conditions de travail » (accidents, pénibilité, maladies professionnelles…) ; la loi a reconnu le rôle des délégués du personnel et des CHSCT pour des négociations internes à l’entreprise.
La population riveraine a désormais son mot à dire :
La grande production met en place des procédés dont les rejets dans l’atmosphère ou les eaux de surface, ont des effets considérables sur les écosystèmes et évidemment sur les populations avoisinantes. Comme citoyens pour la biodiversité, comme riverains mis en danger par ces effets (destructions liées à l’accident de AZF Toulouse ou maladies autour de certaines usines…), les populations riveraines sont concernées au premier chef et veulent non seulement savoir mais aussi être écoutées. Il y a là un changement radical par rapport aux décennies antérieures ; si les salariés s’en saisissent, c’est un formidable appui extérieur ; s’ils l’ignorent le patronat sait utiliser la population pour isoler les salariés et imposer sa vision de l’évolution de l’entreprise….
Et il faut tenir compte de ce que la ville est un héritage des décennies antérieures lorsque le patron imposait aux salariés de venir vivre autour de l’usine….les riverains ne sont pas responsables des dangers qu’ils subissent …
-B- Un choix politique stratégique : quelle industrie pour la société future ?
L’industrie n’est pas une fin en soi (productivisme) mais un moyen de répondre aux besoins des individus ; si la société que nous voulons bâtir veut satisfaire ces besoins, elle aura à gérer et l’industrie et les risques que le niveau technologique atteint entraîne. Le capitalisme joue sur différents claviers pour diviser et régner ; les révolutionnaires doivent anticiper pour rassembler.
Un choix : luttes pour la sûreté ou bien délocaliser ?
Il y a une lutte idéologique forte sur la perspective qui s’imposera : délocaliser une usine polluante en réduisant ses activités, en pesant sur les salaires et supprimant des emplois ? ou bien lutter ensemble pour renforcer la sûreté des installations, les moderniser (non pour le productivisme) mais pour des produits durables, correspondant aux besoins, en réduisant les rejets, etc… ?
Le débat qui reprend sur le nucléaire est une illustration des refus absolus qui peuvent surgir et des possibilités de se saisir des questions pour des solutions de progrès.
La première alternative peut réunir patronat et tenants d’un retour « à la nature »….et la lutte politique et idéologique est une question de rapport de force…
Différentes facettes des risques :
L’approche des risques est complexe et se fait par de multiples facettes qui sont autant de champs de luttes pour qui veut se situer dans la construction des prémisses d’une société nouvelle.
- La santé au travail et les maladies professionnelles en sont un aspect évoqué seulement ici ;
- Les pollutions et leurs incidences tant sur le milieu que sur la santé des humains sont plus ou moins bien connues par les études épidémiologiques et les études sanitaires ; elles peuvent générer peurs et refus….ou luttes ;
- Les accidents industriels sont abordés sous les angles de leur prévention (dans l’usine et pour les populations alentour), ou de l’alerte en cas d’accident, et de la gestion de la crise si l’accident se produit ;
- Enfin hors de l’usine, l’organisation de la production en flux tendus, dans un contexte de réduction du rôle du rail au profit du tout camions, met sur les routes et les parkings des bombes roulantes sans précautions particulières…
Faire converger les luttes pour la sûreté industrielle :
Depuis longtemps les syndicats se sont engagés dans des luttes pour les conditions de travail avec des acquis incontestables comme les CHSCT ; construire le rapport des forces nécessaire pour avancer à présent, demande de donner à ces luttes une nouvelle dimension.
Car il serait naïf de s’en remettre à l’état seul (et à ses fonctionnaires de terrain vite lâchés par les hauts responsables) alors que c’est l’état qui est en droit le garant de la sécurité des citoyens.
Ce sont les luttes syndicales et politiques liées qui, dés les années 1970, ont amené en France la création du premier SPPPI (secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles) dans la région Fos / Martigues/ étang de Berre. Par la suite des structures à son image ont été développées partout en France : SPPPI ou sous des sigles divers ASQA, CYPRES, et plus récemment les CLIC ou CLIE .
Toutes ces structures ont en commun leur objet de veille dans le secteur environnemental et leur composition pluripartite car la lutte a imposé qu’aux côtés des industriels et de l’état soient peu à peu représentés : les élus locaux, les syndicats puis les associations de riverains et de défense de l’environnement.
Et les barrières craquent et là où, sous le mot de « concertation », il était voulu un consensus / acceptation des choix patronaux et gouvernementaux. Ce qui pointe est la transformation de ces structures en lieux de confrontation sans concession, de luttes et de pressions vers des mesures favorables aux populations et travailleurs. Syndicats et associations y renforcent leur légitimité démocratique en y exprimant les luttes de classes tout en se faisant les porteurs de l’intérêt social général.
Rien d’automatique ; mais ce type de structure favorise sur le long terme la convergence de luttes entre élus locaux, associations et syndicats de salariés ; de plus bon nombre de fonctionnaires représentant l’état sur le terrain et ayant le sens du service public, favorisent de fait et dans des formes qui sont les leurs, ces convergences.
A nous de nous saisir de ces potentialités de rassemblement pour construire les axes d’une alternative.
-C- Des axes de luttes rassembleurs :
Il est facile de dire : « le risque zéro n’existe pas » et que la « sécurité » ne peut être absolue pour in fine faire accepter le risque dans les limites définies par l’impératif de rentabilité. Sauf que ce n’est pas la question : le vrai problème posé est de se donner les moyens de construire les conditions de la sûreté des installations. Cela passe par des objectifs qui tels les maillons d’une chaîne permettent cette maîtrise de la sûreté.
- Dans l’usine : il faut des emplois stables et bien formés, limiter le recours à la sous-traitance, veiller à la maintenance, avoir des pompiers d’usine en nombre suffisant….
- Renforcer les pouvoirs des CHSCT et des délégués du personnel
- Développer les moyens de la DREAL (nombre des inspecteurs des installations classées, etc…) et ses pouvoirs de contrôle
- Renforcer le rôle des CLIC en étendant clairement leur champ d’intervention et en diminuant le rôle prépondérant qu’y prennent les préfets…
- Revoir le contrôle actuel de l’urbanisation autour des sites à risques par l’outil du PPRT ; les riverains ne sont pas responsables des risques qu’ils n’ont pas généré et les compensations financières éventuelles doivent être importantes et financées par l’industriel et l’état qui change les règles d’urbanisme. Les plans de prévention et de préparation à l’accident (type Plan SESAM) doivent s’inscrire dans une démarche rationnelle sans nourrir des peurs irraisonnées
- Les études de dangers doivent croiser expertise d’organismes publics et privés ; les experts indépendants ne le sont pas de ceux qui les payent et un dire d’expert ne remplacera jamais un débat clair et contradictoire débouchant sur un choix citoyen clairement assumé ; pour cela, création d’une Agence publique d’expertise adossée à l’INERIS et à l’Université
- Revoir entièrement l’absence de politique de transport des matières dangereuses par le développement du rail et le renforcement des normes et des contrôles des véhicules et des conducteurs ainsi surtout que de leurs conditions de travail
- Retrouver un système d’alerte cohérent entre sirènes d’usines et sirènes du RNA ; le RNA doit enfin être remis à niveau alors qu’il est tel que en 1945
- Transparence complète des données de la pollution et des études sanitaires et épidémiologiques dans le cadre des CLIC
L’acceptation des risques par la population et la confiance ne peuvent se bâtir que sur cette transparence ; car il ne s’agit pas d’une attitude passive mais d’un rassemblement pour d’autres critères de gestion sociale et durable dans lequel la lutte des classes est nécessaire pour avancer, remettre en cause le capitalisme. Sur ce chemin, les communistes auront la place qu’ils sauront prendre.
Jean-Claude CHEINET
Ancien Adjoint au Maire de Martigues
ASQA : association de surveillance de la qualité de l’air
CHSCT : comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail
CLIC : comité local de concertation
CLIE : comité local d’information et d’échanges
CYPRES : centre d’information et de prévention des risques
DREAL : direction régionale de l’environnement /aménagement/logement
INERIS : institut national d’étude des risques
Plans SESAM : plans d’organisation de crise des établissements scolaires
PPRT : plan de prévention des risques technologiques
RNA : réseau national d’alerte (sirènes de défense passive)
SPPPI : secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles